CAP²

En octobre dernier, alors que j’étais en train de réaliser mes tables de nuit chéries à la vitesse d’un escargot ayant le vent en pleine tête, mon maître du bois (call him « Super Gégé ») lance à la cantonade : bon alors, qui s’inscrit pour le CAP d’ébéniste ?
Je lève à peine un sourcil mais il s’approche de ses ex-élèves qui louent un établi dans l’école pour avoir le plaisir de rester un peu auprès de lui et dont je fais partie.
Et étant donné que ça ne coûte rien, que c’est au mois de juin, que d’ici là, Dieu seul sait où nous serons, nous décidons finalement tous de nous inscrire.

En décembre, son successeur (Super Gégé est parti à la retraite entre-temps mais nous a trouvé un prof digne de reprendre le flambeau – cette phrase n’est là qu’au cas où il lirait ces lignes bien sûr :)
Donc, son successeur me propose de me faire passer un CAP blanc comme à ses élèves pour m’entraîner. J’accepte et le remercie chaleureusement. J’arrive un matin pour commencer cet exercice et là, c’est le drame. Alors que la réalisation des tables de chevets que j’avais dessinées m’avait permis de prendre confiance en mes capacités, je regarde le plan du meuble et tout me semble lourd, difficile, insurmontable. Un grand nombre d’opérations me sont inconnues, je ne sais pas dans quel ordre les effectuer. Je me sens en situation d’échec, je n’y arrive pas. Au bout de trois jours, je renonce. Je ne veux pas m’infliger cette épreuve plus longtemps.

Nous enterrons le cadavre du meuble au fond de l’atelier et décidons de ne plus jamais en parler. Il ne s’est rien passé.

Je reprends le cours joyeux de ma vie, faite alors de chutes de bois et de coquetiers.
A la suite de nos nombreuses conversations sur mon avenir professionnel flou, mon désormais complice et néanmoins prof me suggère une nouvelle carrière après un énième fou-rire : « En fait, tu devrais faire ‘ambianceur d’atelier’ comme métier. Tu fais ce que tu fais là : tu fais semblant de faire des vrais projets, mais en fait t’es là pour mettre l’ambiance dans les ateliers et faire marrer les autres. ».
Chief Happyness Wood Officer. Je le note.

Le printemps s’annonce et je quitte à regrets l’atelier pour m’enfermer un court mois dans une entreprise dans laquelle je ne resterai pas (lire les épisodes précédents).
Début mai, nous recevons nos convocations. Il me reste un mois avant le début des épreuves et je ne suis pas prête. Mais vraiment pas.
Je me décide enfin à regarder les annales des sujets – il était temps – et découvre avec stupeur qu’il y en a bien plus que je ne le pensais.
Je n’apprends rien sur l’épreuve principale, la construction d’un meuble à partir des pièces et du plan qui dure 3 jours (oui, oui, 3 jours, soit 21 heures).
Les écrits par contre sont plus nombreux et plus difficiles que je ne me l’étais imaginé : dessin technique, connaissances théoriques, calculs divers, styles de mobilier (je ne sais pas distinguer une commode Louis XIV d’une étagère Billy), design… je tombe des nues.

J’hésite entre ne rien faire devant l’ampleur du désastre qui s’annonce ou bachoter pour tenter de grappiller quelques points au cas où. Je passerai le mois suivant à travailler frénétiquement quelques heures pour ne rien faire les 2 jours suivants.

Jour J. Me voilà sur les routes à l’aube avec ma valise à roulettes contenant tous mes outils. Je retrouve mes petits copains devant le lycée professionnel qui nous accueillera pour les 3 prochains jours, pour l’épreuve de fabrication. Coefficient 8. Yalla !

Nous découvrons le sujet et là, stupeur : je sais tout faire. Aucune réelle complexité, je repère les points de vigilance. C’est faisable.
J+1. Je redescends sur terre. La difficulté n’est pas dans l’exercice en lui-même, elle est dans le timing. Tout doit être réalisé  la main et il faut être un sprinter pour y parvenir. Je suis un escargot asthmatique.
J+2. Je rends des jolies pièces pas du tout finalisées, rangées les unes à côté des autres, des plateaux munis de leur placage et un tiroir à queues d’aronde (que je n’aurais jamais cru être capable de réaliser en si peu de temps)

 

Version 2

Ceci est une table basse à double plateau c’est évident.

J’hésite à aller passer les épreuves écrites mais au point où j’en suis, autant aller jusqu’au bout. Alors j’y vais. 3 jours d’épreuves à Rungis dans un hangar. Ca me rappelle ma jeunesse et les quelques concours d’écoles que j’ai passés après mon Bac.
Je dessine un meuble au design inspiré de l’origami, des plans d’ébénisterie, je calcule les mètres cube de bois nécessaires pour fabriquer un meuble et leur prix de revient, j’explique quelles sont les meilleures planches à choisir pour fabriquer une pièce, je reconnais une commode Louis XVI et des pieds Louis XIII. Le tout truffé d’erreurs et d’approximation mais je ne vise pas la mention très bien – qui n’existe d’ailleurs pas.

Et voilà. Les résultats ont été publiés ce matin : j’étais menuisière, me voici maintenant aussi ébéniste.

Ebéniste quelque peu fumiste, ébéniste qui n’exercera probablement pas ce métier tel quel, ébéniste avec un léger sentiment d’imposture, mais ébéniste tout de même.

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Ceci est le plan de la table… y a comme un air de famille, non ?

 

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