Déconfiture, déconfinement, des confidences

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Le Larousse illustré de 1931 de ma grand-mère, mon livre de chevet de confinée

Le 27 février, je publiais ici un article exposant mon état d’esprit quelque peu englué, débordé, empêtré. Assaillie de questions entrepreneuriales existentielles qui avaient plutôt tendance à me plonger dans la procrastination, je devais faire un plan de trésorerie, des projections financières et trouver comment faire des bénéfices pour cette deuxième année d’exercice.

HA HA

Le 3 mars, je partais passer une semaine en région parisienne. J’en profitais pour voir ma famille et fêter les 80 ans de mon père sans le toucher car le virus commençait à faire peur.

Le 15, jour du premier tour des élections auquel j’ai choisi de ne pas participer car je trouvais absurde et criminel qu’il soit maintenu, je suis allée à l’atelier. J’y ai croisé mon voisin qui semblait toujours prendre la situation à la légère.
J’ai donc rangé mes affaires, embarqué les 3 masques anti-poussière qu’il me restait et j’ai fermé la porte de l’atelier en sachant qu’il se passerait un certain temps avant que je n’y retourne.

Le lendemain, j’ai décidé d’aller me confiner avec un jour d’avance dans la résidence secondaire familiale, un appartement à 30 km de chez moi dans le petit village de bord de mer dans lequel j’ai passé tous mes étés.
Faire ses valises pour une période indéterminée dans ces conditions est une étrange expérience. Choisir ce qui est important, utile, indispensable ou précieux peut être révélateur. C’est ainsi que j’ai embarqué tout mon stock de pièces. Je ne pouvais pas imaginer abandonner mes créations. Et puis j’ai rassemblé vêtements, livres, carnets, ordinateur, grigris, provisions alimentaires, trousses de pharmacie, de toilette, de crayons… et je suis partie.

Jour 1, jour 2, 3… Je déplace les meubles, m’installe un bureau, trouve une place pour mon tapis de yoga (qui prend surtout la poussière) et pour tout le reste.
Souvent au téléphone avec la famille et les amis, jamais très loin des infos, tous sonnés, étourdis.

Jour 4, 5, 8, 12… Confinée sur mon lieu de vacances, ça y ressemble presque. Une certaine langueur, le silence, le calme. Le soleil qui insiste. Les jours passent. Je ne regarde plus les informations, toxiques et inutiles.
La sidération laisse doucement la place à… A quoi en fait ? Je suis incapable de définir ce que je ressens. Rien est le mot qui semble correspondre. Une forme de vide, d’absence. Mon esprit n’est pas vraiment là.
Seules mes nuits peuplées de rêves récurrents et agités m’indiquent l’existence d’une tempête constante en tâche de fond sous mon crâne.

Je jette un oeil sur les réseaux sociaux d’autres créateurs, petits commerçants et artisans. Quelques uns tentent de garder la tête hors de l’eau en continuant à promouvoir leur activité. Mais les boutiques sont fermées, les ateliers parfois inaccessibles et les ventes par correspondance cessent les unes après les autres pour ne pas propager le virus en carton.

Les journaux de confinement fleurissent. Chacun vit un moment exceptionnel qu’il souhaite partager. Mais nous vivons tous la même chose et c’est bien ça qui est exceptionnel. Si nous sommes loin les uns de autres, nous n’avons jamais été aussi proches. L’humanité entière ou presque est arrêtée dans une même pensée, un même tourment, une même peur. Un même but. Etait-ce jamais arrivé auparavant ?

Jour 15, 26, 32… Tout  me semble dérisoire, vain et vide de sens. Je n’ai aucun élan créatif, aucune énergie. Je consacre le peu de temps de cerveau disponible dont je dispose à faire en sorte de toucher les aides qui m’aideront au mieux à continuer mon activité, au pire à reporter son éventuelle chute.
Certains me suggèrent d’utiliser le temps du confinement pour préparer « l’après ».
L’après ? Mais j’en suis incapable. Je suis figée dans l’instant présent. Franchement, c’est déjà pas si mal.

Jour 35, 42, 50… L’avenir est vertigineusement incertain.
D’aucun diront qu’il l’est depuis toujours et que nous en devenons seulement pleinement conscients tous en même temps.
Les dangers sont autant sanitaires que sociétaux et politiques.
La rage et l’indignation m’empêchent de sombrer dans une totale apathie.
Et c’est dans ce marasme que j’aurai trouvé ce que je cherchais depuis plusieurs mois : un nouvel atelier.
Bien plus petit et un peu plus cher, bien plus près de chez moi et surtout  juste pour moi et chauffé. Augmenter mes charges dans ce contexte est autant absurde qu’évident.

Mon déconfinement personnel est fixé au 1er juin. C’est à cette date que je dois emménager dans mon nouvel atelier et avant, j’aurai réintégré mon appartement en ville.

Je tente de reprendre contact avec la vie.
Ce n’est pas celle d’avant et pas plus celle d’après. C’est la vie d’avec : avec le virus, avec des masques, avec des gants, avec la peur, avec la distance.

La vie sans contact.

Faire en sorte qu’elle ne soit pas sans joie va être pour chacun un défi quotidien.
Hauts les coeurs.

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